Aucune nuit ne sera noire - Fatou Diome
- Lespagesdejade

- 3 déc.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 13 heures
🖋 Auteur : Fatou Diome
Année de parution : 2025
🏛 Éditeur : Albin Michel
📚 Genre : Récit autobiographique, Mémoire, Hommage
🌟 Mon évaluation : 5/5
Je suis heureuse de vous retrouver pour cette nouvelle chronique, et aujourd’hui j’aimerais vous parler d’un livre qui ne cherche pas à impressionner, mais à rester. Aucune nuit ne sera noire n’est pas un récit spectaculaire, ni un texte de démonstration. C’est un livre qui s’approche doucement, qui demande qu’on lui fasse une place, et qui, une fois installé, ne vous quitte plus vraiment. Dès les premières pages, j’ai senti que ce texte allait m’obliger à ralentir, à écouter autrement, à accepter une forme de dépouillement. Fatou Diome nous invite ici dans un espace intime, presque silencieux, où chaque mot semble posé avec précaution, comme pour ne pas troubler ce qui s’y transmet.
Il y a des livres qui racontent une histoire. Et puis il y a ceux qui portent une présence. Aucune nuit ne sera noire appartient clairement à cette seconde catégorie. On n’y entre pas par curiosité, mais par reconnaissance. Comme si quelque chose, dès les premières lignes, nous disait que ce qui allait se jouer là n’était pas de l’ordre du récit, mais de la relation.
Fatou Diome revient sur l’île de Niodior, au Sénégal, à l’occasion des funérailles de sa mère. Ce retour n’est ni idéalisé ni dramatisé. Il est simplement nécessaire. Il devient l’occasion de renouer avec une terre fondatrice, mais surtout avec celles et ceux qui ont façonné son regard sur le monde. Au cœur du texte se tient la figure du grand-père, pêcheur respecté, homme de peu de mots, présence droite et rassurante, dont l’influence traverse toute la vie de la narratrice. Il n’est pas héroïsé, encore moins mythifié. Il est là, tel qu’il fut : attentif, patient, enraciné.
Ce qui frappe dans ce livre, c’est la manière dont le temps s’y déploie. Rien ne presse. Le récit avance à pas lents, au rythme des souvenirs, des gestes quotidiens, des odeurs, des paysages. On sent le delta du Sine Saloum, la mer, la chaleur, les palabres, les silences pleins. Fatou Diome ne cherche jamais à expliquer sa culture ou à la rendre exotique. Elle la habite, tout simplement. Elle la restitue depuis l’intérieur, avec une sobriété qui force le respect.
Le grand-père devient alors bien plus qu’un personnage. Il est un point d’ancrage, un repère moral, presque une boussole. À travers lui, l’autrice apprend la patience, l’observation, la retenue. Elle apprend à écouter avant de parler, à regarder avant de juger. Ce sont ces apprentissages silencieux qui irriguent tout le texte et lui donnent cette profondeur particulière.
La langue de Fatou Diome est d’une grande douceur, mais elle n’est jamais molle. Elle sait être précise, parfois ferme, quand il s’agit d’évoquer les tensions familiales, les incompréhensions, les blessures anciennes. Rien n’est gommé. Le livre n’est pas un refuge hors du réel. Il accueille aussi les zones d’ombre : les jalousies, les trahisons, les attentes déçues. Mais tout est dit sans colère, sans volonté d’accuser. Il y a dans cette écriture une forme de maturité émotionnelle qui m’a profondément touchée.
Les phrases ne cherchent pas l’effet. Elles avancent avec justesse, portées par une musicalité discrète. On sent que chaque mot a été pesé. Que rien n’est là pour séduire, mais pour dire au plus près. Cette retenue donne au texte une force singulière. L’émotion n’est jamais forcée, et c’est précisément pour cela qu’elle surgit, parfois sans prévenir.
Ce livre parle de transmission, mais sans grands discours. Il montre comment l’amour se glisse dans les gestes simples, dans la répétition, dans la constance. Comment certaines présences continuent de nous accompagner bien après leur disparition. La mort n’est pas niée, mais elle n’a pas le dernier mot. Ce qui demeure, ce sont les enseignements, les valeurs, cette manière particulière d’être au monde que l’on porte ensuite en soi.
J’ai été touchée par cette idée que l’absence puisse devenir une force tranquille, une lumière intérieure. Que les êtres aimés continuent de veiller, non pas comme des fantômes, mais comme des fondations invisibles. Aucune nuit ne sera noire ne nie pas la douleur, mais il lui oppose quelque chose de plus vaste : la mémoire vivante.
La lecture demande de l’attention, non par complexité, mais par délicatesse. Il faut accepter de se laisser guider par le rythme du texte, d’abandonner toute attente de rebondissement. C’est un livre qui se lit comme on écoute quelqu’un raconter, sans l’interrompre, sans chercher à aller plus vite.
Pour ma part, cette lecture m’a laissée dans un état particulier, fait de calme et de gravité douce. Elle m’a rappelé que certains livres n’ont pas vocation à être dévorés, mais accueillis. Qu’ils ne cherchent pas à briller, mais à transmettre.
Aucune nuit ne sera noire est un livre profondément humain. Un livre qui éclaire sans aveugler. Un livre qui dit que l’amour, quand il est sincère et transmis, ne disparaît jamais vraiment. Il change de forme, mais il continue d’agir.
A bientôt
Jade 🌿








